Chez les eucaryotes où les télomères sont allongés par la télomérase, le brin d’ADN télomérique orienté vers l’extrémité 3› (« brin G ») est généralement composé de répétitions d’un court motif de 5 à 8 nucléotides (« motif télomérique ») contenant 2, 3 ou 4 guanines consécutives. Chez de nombreux eucaryotes, ce brin se termine par une extrémité 3› simple-brin. Le motif télomérique humain est l’hexamère GGGTTA. Ce motif a d’abord été identifié dans les télomères humains ; il est conservé chez les vertébrés et se retrouve chez de nombreux autres eucaryotes. La présence de guanines consécutives rend le brin G télomérique susceptible de se replier en quadruplexes de guanines (G-quadruplexes ou G4) (doi: 10.1093/nar/gkq1292).
Les projets développés dans notre équipe ces dernières années visaient à élucider les structures formées par de longues séquences télomériques et à comprendre comment ces structures sont prises en charge par les protéines qui interagissent avec le brin G télomérique. Ci-dessous, nous présentons nos principales réalisations dans ce domaine de recherche.
Structure et stabilité des longues répétitions GGGTTA. Le brin G télomérique peut se structurer en G4. Nous avons caractérisé les structures formées par de longues séquences télomériques de motif GGGTTA. Nous avons montré qu’elles se structurent de façon très régulière, en formant des unités G4 contiguës « indépendantes » (qui n’interagissent pas entre elles) et « identiques » (de stabilité similaire), indépendamment du nombre d’unités G4 (doi: 10.1016/j.biochi.2015.04.003).
Comme nous le verrons ci-dessous, ces caractéristiques font des G4 télomériques contigus des structures aisément déroulées par les protéines qui se lient au brin G télomérique (notamment RPA et POT1-TPP1) et influencent la manière dont ces protéines se lient au brin G.
Le repliement en unités G4 « indépendantes et identiques » est une caractéristique des répétitions télomériques en présence de potassium. Nous avons mis en évidence une exception à caractère non-physiologique : une séquence télomérique qui, en présence de sodium, se structure en deux unités G4 qui interagissent entre elles en formant une structure d’ordre supérieur très stable, plus stable que la structure formée en potassium, où les deux unités G4 demeurent indépendantes l’une de l’autre (doi: 10.1093/nar/gkw003).
Comment les protéines liant l’ADN simple brin gèrent-elles les G4 télomériques ? Aux télomères, des G4 contigus peuvent se former à l’extrémité 3› simple-brin (G-overhang), ainsi que dans la région double-brin au cours de la réplication ou de la transcription.
Les G4 aux télomères sont considérés comme des structures problématiques, en particulier pour la machinerie de réplication, et l’on pense que, dans la cellule, des hélicases sont nécessaires pour déplier ces structures dans les cellules. Après avoir caractérisé les structures en G4 contigus susceptibles de se former le long du brin G télomérique, nous avons étudié comment les protéines de liaison à l’ADN simple-brin présentes aux télomères interagissent avec ces structures. Nous avons focalisé nos études sur RPA (Replication Protein A) et POT1 (Protection of Telomere 1). RPA agit sur l’ensemble du génome ; aux télomères, elle est présente au cours de la réplication (et probablement aussi la transcription) ; une RPA dysfonctionnelle entraîne des perturbations dans la synthèse du brin G, ce qui suggère un rôle de RPA dans la protection du brin G lors de sa réplication (les télomères sont en général répliqués à partir d’origines de réplication situées dans les régions subtélomériques; étant le brin G orienté vers l’extrémité 3›, il est donc répliqué de façon discontinue). POT1, avec sa protéine partenaire TPP1, est une sous-unité du complexe shelterin ; elle se lie aux répétitions TTAGGG et, parmi ses fonctions, elle protège les extrémités des télomères des réponses aux dommages de l’ADN dépendantes d’ATR. La figure ci-dessous illustre nos résultats principaux, détaillés plus bas.
The figure here below synthetises our major results, detailed below.
hRPA. Après avoir caractérisé la manière dont hRPA interagit avec un seul G4 télomérique (doi: 10.1016/j.biochi.2014.04.006) et mis en évidence une directionnalité 5› vers 3› dans le déroulement des G4 (doi: 10.1074/jbc.M115.709667), nous avons montré que RPA se lie efficacement à des répétitions télomériques GGGTTA structurées en G4 contigus, indépendamment de leur nombre (doi: 10.1016/j.biochi.2017.11.017). Ce résultat a une pertinence biologique : il révèle que, si des G4 contigus se forment au cours de la réplication ou de la transcription des télomères, leur nombre n’affecte pas l’efficacité de hRPA à couvrir et protéger la portion du brin G temporairement exposée en simple-brin. Cette propriété découle de la nature des G4 télomériques (des unités structurales indépendantes et identiques, stables mais pas trop) et pourrait être cruciale pour assurer la protection du brin G au cours de la réplication ou de la transcription. En contrepoint, nous avons montré que l’efficacité de liaison de RPA aux répétitions GGGTTA diminue fortement dans une condition non physiologique particulière où les unités G4 télomériques interagissent entre elles (doi: 10.1093/nar/gkw003)
Que se passe-t-il lorsque des structures en épingles-à-cheveux se forment au sein des télomères humains. Nous avons étudié un motif télomérique variant instable. À proximité des régions subtélomériques des télomères humains, des répétitions variantes (GGGTGA, GGGTCA, GGGGTT, …) sont présentes au milieu des répétitions canoniques GGGTTA. Il a été montré que les répétitions du motif variant GGGCTA au sein des télomères sont instables : leur nombre augmente ou diminue, probablement au cours de la réplication. Pour comprendre l’origine de cette instabilité, nous avons caractérisé les structures formées par ces répétitions et leur interaction avec RPA. Nous avons ainsi montré que les répétitions GGGCTA peuvent former des structures en épingles-à-cheveux moins efficacement déroulées par RPA par rapport au structures G4 formées par des répétitions canoniques GGGTTA (doi: 10.1093/nar/gkab518). Dans l’ensemble ces études inspirent des réflexions sur l’évolution des motifs télomériques.
hPOT1-TPP1. Nous avons étudié comment la protéine télomérique POT1, en complexe avec sa protéine partenaire TPP1, interagit avec les G4 télomériques contigus. Nous avons montré que la structuration du brin G télomérique en G4 contigus permet à plusieurs POT1-TPP1 de s’y lier de manière coopérative et de progresser de l’extrémité 3› vers l’extrémité 5› (doi: 10.1093/nar/gkab768). Nous n’avons pas observé ce comportement coopératif en présence de lithium (une condition non physiologique), où les répétitions télomériques ne se structurent pas en G4 de façon stable. Ainsi, au sein de la cellule, la structuration de l’extrémité 3› télomérique en G4 contigus pourrait affecter la manière dont plusieurs complexes hPOT1-TPP1 s’y lient. La question de la pertinence biologique d’un tel comportement, observé in vitro, reste à explorer.
Dans l’ensemble, nos études apportent un nouvel éclairage sur les G4 télomériques : en tant qu’unités structurales identiques et indépendantes, stables mais pas excessivement stables, ils sont des structures aisément gérables par les protéines qui doivent les dérouler et jouent un rôle dans le mécanisme de liaison d’un complexe comme POT1-TPP1. Les G4 télomériques pourrait en effet être les meilleurs alliés de la stabilité des télomères.